Critical texts



FRA——
Après avoir montré le travail de Marine Wallon dans des expositions de groupe en 2020 et en 2021, la galerie Catherine Issert consacre pour la première fois à l’artiste une exposition personnelle. Ses peintures, empreintes de références au cinéma et qui oscillent entre paysages et compositions abstraites, sont au cœur de cette présentation inédite, en parallèle à son travail sur papier, autre facette de sa vigueur picturale. D’une figuration de moments suspendus à un déferlement de matière, d’un arrêt sur image à un déchaînement gestuel, c’est un univers à la fois concret et imaginaire qui s’offre au spectateur. L’exposition fait l’objet d’une publication comprenant un essai de Dominique Païni, historien du cinéma et ancien directeur de la Cinémathèque française.

« Les brusques escarpements, les promontoires avancés ne permettent pas de comprendre d’un regard l’ordonnance du paysage […]. »
(Élisée Reclus, Histoire d’un ruisseau, 1869)

Si Marine Wallon appartient sans conteste à la nouvelle scène figurative française, elle sait s’aventurer du côté d’une abstraction affirmée, et évoluer sur des lignes de crête. Sa peinture — son médium favori depuis le mitan des années 2010 — donne à voir l’instant capturé, suspendu, et, dans le même temps, le mouvement, le foisonnement vibrant des éléments ; elle déploie des horizons lointains et exotiques aux titres évocateurs autant qu’elle impose la frontalité intransigeante d’une
matière picturale brute. Et c’est en cette tension incomparablement maîtrisée que le spectateur est
ravi, son regard livré à la peinture même, tandis que l’imaginaire le plus libre s’abandonne à la narration trouble de scènes énigmatiques.

Ce jeu entre fixité et mouvement trouve quelques clés d’explication dans les nourritures esthétiques de Marine Wallon. Elle qui regarde passionnément la peinture, de Delacroix à Joan Mitchell en passant par Milton Avery ou Van Gogh, reste obsédée par l’image en mouvement. Sa méthode même raconte cette dialectique : elle navigue dans un flux d’images de paysages glanées sur internet – sites d’archives, films documentaires, amateurs ou publicitaires – à la recherche d’un « choc visuel ». Après la capture d’écran, la saturation sur Photoshop et quelques croquis, vient la mise en danger de la peinture : munie de pinceaux, de brosses, de tissus plongés dans l’huile et jetés sur la toile ou simplement de ses doigts, elle livre une pensée sauvage pour donner vie à des paysages-matières où l’ambigu règne en maître. On ne sait trop si ses silhouettes incertaines, de simples
« punctums » servant à la circulation du regard, évoluent dans des décors vraisemblables ou si elles se trouvent nez à nez avec des signes picturaux. Ce sens aigu de l’indistinct, de l’étrangeté, de l’imminence, naît à l’intersection d’une histoire du paysage — la mer et la montagne, effrayantes mais attrayantes, ne sont pas sans rappeler la tradition du sublime romantique — et de références au cinéma, cinéma expérimental, d’auteur ou hollywoodien, celui de John Ford, d’Akira Kurosawa, de Jean-Daniel Pollet ou de Rose Lowder.

Marine Wallon opère donc une audacieuse alchimie : l’image animée se trouve fixée, pour finalement redevenir foisonnement ; l’image numérique éthérée devient picturalité concrète ; l’image par essence reproductible s’incarne dans l’aura d’une peinture ; l’image triviale, jetable, devient poétique, unique. La magie a lieu dans une sorte de danse ou de transe : si la genèse du travail vient de l’œil parcourant l’écran, la suite du processus créatif est des plus physiques. Entre le monde du tout-image qui est désormais le nôtre et celui des premiers âges de l’humanité, Marine Wallon cherche un geste primitif, aussi simple parfois que la main trempée dans la peinture et posée sur la toile, réitération d’un acte artistique originel évoquant sa pratique première de l’argile. À l’aide de ses spalters et pinceaux, elle libère, en une touche âpre et texturée, des arabesques, des étirements de peinture, de véritables rideaux de matière qui balaient, souvent en diagonale, la surface de la toile. Elle cherche la perturbation, l’excès, la perte des repères, à la lisière du dissonant ; depuis plusieurs années, Marine Wallon a banni toute idée de perspective. Ses peintures, désertiques, rocailleuses, enneigées, sont des scènes vides et pourtant saturées, où le moment de suspens cinématographique saisi en plongée ou en contre-plongée rencontre des temps géologiques immémoriaux. Repères de temps et d’espace se trouvent ainsi abolis, les échelles nous échappent et le vertige nous guette. La manière qu’a Marine Wallon d’habiter le médium se transmet vite au spectateur : quels qu’en soient le format et la technique — huiles sur toile, travaux sur papier exécutés à l’aquarelle, à la gouache ou au crayon, gravures —, on sent, face à ses œuvres, le froid des montagnes, le sel des embruns, la morsure du soleil, le souffle du vent. Ses pièces, toutes à la fois figuratives, atmosphériques, lyriques, dessinent ensemble, une fois leur accrochage orchestré, le storyboard d’un film que l’on peut sans cesse recomposer.

Elsa Hougue, 2024

ENG——
After presenting work by Marine Wallon in group exhibitions in 2020 and 2021, the Galerie Catherine Issert is staging an exhibition exclusively devoted to the artist for the first time. Bearing references to the cinema and oscillating between landscapes and abstract compositions, her paintings comprise the core of this unprecedented presentation, accompanied by work on paper, another facet of her bold pictorial expression. From the depiction of suspended moments to the unfurling of matter, from a screenshot to the unleashing of gestures, the world offered to the viewer is both tangible and imaginary. This exhibition is the subject of a publication with an essay by Dominique Païni, film historian and former Director of the Cinémathèque Française.

« Sudden precipices, protruding promontories, do not allow one’s gaze to grasp the layout of the landscape […]. »
(Élisée Reclus, Histoire d’un ruisseau, 1869)

While Marine Wallon unquestionably belongs to France’s new figurative scene, she is capable of venturing towards explicit abstraction, and evolving along the ridge lines. Her painting – her favourite medium since the mid-2010s – allows the viewer to perceive the instant captured, suspended, and, simultaneously, the movement and vibrant profusion of the elements; she unfurls distant, exotic horizons with evocative titles, while imposing on the viewer an unavoidable confrontation with the painting’s raw material. And it is thanks to this incomparably well-mastered tension that the spectator becomes entranced, his gaze focused on painting itself, while the most unbridled imagination surrenders to the blurred portrayal of enigmatic scenes.

A few keys to explaining this play on what is static and what moves can be found in Marine Wallon’s esthetic nourishment. With a passion for painting, from Delacroix to Joan Mitchell, Milton Avery or Van Gogh, she is obsessed by the image in movement. Her rationale is explained by her own methodology: she navigates through a flow of images of landscapes found on the Internet – sites devoted to archives or documentaries, amateur and advertising films – in search of a « visual shock ». After taking screenshots, delving into Photoshop, and a few sketches, then comes the dangerous step of painting: armed with paintbrushes, brushes, material dipped in oil and thrown on the canvas, or simply using her fingers, she introduces a wild notion to breathe life into landscapes/materials in which ambiguity reigns supreme. One cannot be sure whether her shaky silhouettes, simple « punctums » serving as an itinerary for the gaze, evolve within actual settings or whether they find themselves face to face with pictorial signs. This intense sense of vagueness, strangeness, something imminent, occurs at the intersection of a tale about the landscape – the sea and mountains, frightening but enticing, recalling the tradition of romantic sublimation – and references to the cinema, whether experimental, « d’auteur » or made in Hollywood, movies by John Ford, Akira Kurosawa, Jean-Daniel Pollet or Rose Lowder. Marine Wallon thus conjures up audacious alchemy: the moving image is fixed, finally becoming proliferation; the ethereal digital image becomes concrete pictoriality; the inherently reproducible image is embodied in the painting’s aura; the trivial, disposable image becomes poetic, unique. Magic unfurls in a kind of dance or trance: while the origin of the work lies in the eye looking at a screen, the next step in the creative process is intensely physical. Between the all-image world which is henceforth ours, and that of the first eras of mankind, Marine Wallon is in search of a primitive gesture, sometimes as simple as the hand soaked in paint and applied to the canvas, the reproduction of an original artistic act recalling her initial use of clay. With the help of her brushes and spalters, she uses a raw, textured touch to liberate arabesques, extend the paint, sweep real drapes of matter across the surface of the canvas, often diagonally.  She is aiming for confusion, excess, a loss of bearings, on the brink of dissonance; over the past few years, Marine Wallon has banished all ideas of perspective. Barren, rocky, covered in snow…, her paintings are empty but saturated scenes in which a moment of cinematographic suspense seized from above or below confronts geological eras from time immemorial. Bearings indicating time and space are thus abolished, we cannot establish scale and are threatened by vertigo. Marine Wallon’s way of approaching the medium is quickly passed on to the spectator: whatever the format or technique – oil on canvas, engravings, work on paper using watercolour, gouache or pencil –, when faced by her work, one feels the cold chill of the mountains, the salt of sea spray, the scorching heat of the sun, the gust of the wind. Each one both figurative, atmospheric and lyrical, her artworks, once their presentation has been orchestrated, comprise together the storyboard of a film that can be endlessly recomposed.

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Marine Wallon (born in 1985) lives and works Paris. After graduating from the École Nationale Supérieure des Beaux-Arts de Paris in 2009, she first devoted herself to watercolour, then made a turn leading her to concentrate on the use of oil paint. Benefiting regularly from personal and group exhibitions in France and abroad, the artist’s productions have been distinguished by several awards. In particular, she was the winner of the 11th Jean-François Prat Prize in 2022, and, in 2019, co-winner of the Moly-Sabata Prize. In 2022, she was invited by La Chalcographie du Louvre to produce an engraving (Isola). Presented by the galleries Catherine Issert (Saint-Paul-de-Vence) and Stoppenbach & Delestre (London), her work forms part of public and private collections (Chalcographie du Louvre, Fondation Colas, Ville de Vitry-sur-Seine/Dépôt du MACVAL, Artothèque d’Annecy, Société Générale collection, Fonds Moly-Sabata).

Elsa Hougue, 2024