Critical texts



FRA——
Les intermittences du paysage
La première rencontre avec la peinture de Marine Wallon m’avait offert une expérience qui m’étonna. Je découvrais des propositions devenues assez peu fréquentes en peinture contemporaine depuis que la photographie et le cinéma sont advenus : visions du lointain et condensations de vastes étendues sur des toiles de taille modeste que les vertus optiques de la caméra et sa mobilité ont rendu ordinaires visuellement. Et l’abstraction ne triomphait pas comme si Marine Wallon tentait de résister aux enchaînements fameux du type « de Monet à Joan Mitchell » qu’une exposition a illustrés récemment.
Je supposais alors que cette jeune peintre voulait s’affronter et se mesurer avec ceux et celles qu’elle admirait. Mais sa démarche n’était pas vaniteuse. Marine Wallon était obsédée en revanche par ce mouvement de bascule, d’équilibre instable, ce moment où le paysage peint est au bord de cesser d’être reconnu tel, c’est-à-dire, de « n’être plus que » composition abstraite de taches et de traits colorés. Ou, à l’inverse, ce moment auquel l’abstraction « devient paysage ».
J’en concluais que Marine Wallon était une exceptionnelle peintre contemporaine de paysages qui me rappela cette formule de Fontenelle, trop souvent, empruntée, mais non sans raison : « un paysage dont on aura vu toutes les parties, l’une après l’autre, n’a pourtant point été vu ; il faut qu’il le soit d’un lieu assez élevé, où tous les objets auparavant dispersés se rassemblent d’un coup d’œil. » En effet, j’étais frappé que le recours très fréquent de l’artiste à la contre-plongée contribuait à résister aux perplexités séductrices de l’abstraction et imposait ainsi une puissance fauve de paysages.
Ces derniers demeuraient pourtant sur cette crête hypnotique et je me réjouissais de ces suspens très stimulants pour la vision : il me fallait un peu de temps pour qu’un paysage s’impose et qu’il me soit impossible de revenir en arrière. Marine Wallon démontrait ainsi, pour moi, qu’un paysage n’est pas affaire d’espace ; c’est du temps au cours duquel il s’instaure et s’identifie tel dans notre regard. C’est l’insistance et la durée de notre attention qui font de l’extraction d’un moment quelconque du monde, un paysage. Comme dit « l’autre » célèbre, c’est le regardeur qui fait le tableau et j’en conclus depuis que c’est la manière dont Marine Wallon, amatrice de cinéma, intègre également la troisième dimension du temps dans sa peinture.
L’introduction de la figure humaine, parfois à peine esquissée, au sein de très larges étendues de couleurs, a été une autre de ses virtuosités figuratives qui n’est pas sans faire songer à la tradition de la peinture classique. Je pense aux personnages empruntés à la mythologique antique et au récit biblique que Nicolas Poussin installait discrètement, presque à l’insu de notre perception, personnages engloutis dans les profondeurs paysagères, enfouis sous les pesantes ramures de forêts qui capturent le regard et nous font oublier l’églogue qui justifia l’œuvre peinte.
Aujourd’hui, Marine Wallon continue cette expérimentation de l’intermittence, du mouvement entre paysage et abstraction, expérimentation picturale née il y a plus de cent cinquante ans à l’époque de l’apparition des images animées, du cinématographe, qui firent de l’instabilité un mode inédit de plasticité.
Dans ses toiles de grand format, elle accentue toujours les contre-plongées. Dans ses toiles de moyen et petit format, elle s’amuse des trouvailles de sa méthode en glissant dans l’espace infime, entre deux grandes surfaces brossées et colorées, des petits navires qui évoquent de dangereux naufrages. C’est Turner qui revient avec humour dans notre mémoire. Ou c’est encore le clin d’œil que Marine Wallon fait à Hokusai, contredit, en une même désinvolte liberté, par des arbres frêles qui dérangent le lyrisme épuisé d’une montagne devenue publicitaire. Et elle suggère par de minuscules bâtonnets des promeneurs qui révèlent ainsi une étendue neigeuse à perte de vue.
La peintre s’amuse (et nous profitons de ses facéties) à expérimenter des interventions les plus minimales qui soient pour détourner l’abstraction — que ses premiers gestes inaugurent sur la toile —, au profit du paysage.
Et comme si ce mouvement de l’image ne lui suffisait pas, elle s’essaie désormais aux polyptiques. Marine Wallon quitte alors les points de vue élevés et tente la folle entreprise de plonger dans ce qu’elle ne contempla que de très loin jusqu’alors : la mer et ses profondeurs habitées.
Digne des visions à travers les hublots d’un sous-marin que Jules Verne aurait pu décrire, Marine bien nommée, nous entraîne dans des chorégraphies d’algues et de méduses à vingt mille lieues sous des couches de couleurs.

ENG——
Intermittent landscape
My first encounter with Marine Wallon’s painting had been an astonishing experience. I discovered proposals which had become rather infrequent in contemporary painting with the advent of photography and the cinema: visions of distant horizons and condensations of vast stretches of land on canvases of modest dimensions became quite ordinary visually due to the optical properties of the lens and camera movements. And abstraction did not win the day, as if Marine Wallon was trying to resist well-known linkages such as « from Monet to Joan Mitchell », recently illustrated in an exhibition.
I thus supposed that this young painter wanted to confront and size herself up against men and women she admired. Though not out of vanity. Marine Wallon was, in fact, obsessed by seesaw movements, unsteady balance, the moment when the painted landscape is on the verge of ceasing to be recognized as such, in other words, “being no more than” an abstract composition of smudges and coloured stripes. Or, conversely, the moment at which abstraction “becomes scenery”.
I came to the conclusion that Marine Wallon was an exceptional contemporary landscape painter who reminded me of a quote from Fontenelle, too often borrowed, but nevertheless telling: “A landscape, all of whose parts will have been seen, one after another, has not, however, been seen at all; it has to be viewed from a rather elevated position, where all the objects previously dispersed come together in the twinkling of an eye. » I was, in fact, struck that the artist’s very frequent recourse to a low-angle perspective helped to counter the seductive perplexities of abstraction, thus imposing a wild beast powerfulness on her landscapes.
Landscapes which nevertheless remained on a hypnotic crest, and I was captivated by this suspense, highly stimulating for one’s vision: it took a little while for a landscape to stand out, and for me to find it impossible to turn back. For me, Marine Wallon thus demonstrated that a landscape is not a matter of space; it is about the time in which it takes hold and identifies itself as such in our gaze. It is the insistence and duration of our attention that transforms the extraction of a given moment in the world into a landscape. As the well-known saying goes, it is the spectator who creates the painting, and I have since decided that it is the way in which movie-fan Marine Wallon also incorporates the third dimension of time into her painting.
The introduction of the human figure, sometimes sketchily defined, within very broad expanses of colours, has been another example of her figurative skills, making one think of the tradition of classical painting. I am thinking of characters borrowed from Antique mythology and the Biblical tale that Nicolas Poussin inserted discreetly, almost unperceived by us, figures engulfed in the depths of scenery, buried beneath heavy branches in forests, capturing our gaze and making us forget the eclogue which gave the painting its meaning.
Today, Marine Wallon continues this experimentation with vagaries, movement between landscape and abstraction, pictorial experimentation born over 150 years ago at the time when animated images and the moviemaker appeared, making instability an unprecedented mode of plasticity.
In her large format canvases, she always gives precedence to low-angle shots. In her medium and small format canvases, she amuses herself with findings that arise from her method by slipping into infinitesimal space, between two large surfaces, brushed and coloured, little boats evoking dangerous shipwrecks. Our memory then conjures up Turner, with a touch of humour. Or then again, the nod-and-a-wink made by Marine Wallon to Hokusai, at odds, in the same casual freedom, with frail trees which disrupt the exhausted lyricism of a mountain peak, now become an advertisement. And in tiny sticks, she suggests walkers who thus reveal an expanse of snow as far as the eye can see.
The artist is having fun (and we enjoy this facetiousness) by experimenting with the most minimalist interventions possible to discourage abstraction — which her first gestures inaugurate on the canvas —, for the landscape’s benefit.
And as if this movement within the image were not enough, she now tries her hand at polyptychs. Marine Wallon then leaves elevated viewpoints and attempts the crazy enterprise of diving into what she has so far only contemplated from very far away: the sea and its inhabited depths.
Worthy of views through the portholes of a submarine that Jules Verne could well have described, the aptly-named Marine draws us into choreographies of algae and jellyfish 20,000 leagues beneath layers of colours.

Dominique Païni, 2024