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Entretien avec Marine Wallon
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« Je ne veux pas que ma peinture soit séduisante mais au contraire mouvementée et dissonante. » — Marine Wallon

Dans ses récents travaux, Marine Wallon bannit la ligne droite, les architectures, les motifs et toute idée de perspective, pour se laisser guider par le seul geste de la peinture. En cette époque où la peinture a besoin de se raccrocher à une image, de se faire le support d’un discours, d’être porteuse d’un artifice qui lui est extérieur, Marine Wallon lui rend au contraire sa liberté, élimine tout ce qui peut la parasiter ou l’aliéner afin qu’il puisse se produire ce moment essentiel qui est de se retrouver face « à une perte totale de contrôle visuel ». Il y a sans conteste une mise en danger dans ce « lâcher prise », cet abandon de la vraisemblance, cette « folie » qui pourrait être celle dont nous parle Antonin Artaud à propos de la peinture de Van Gogh. Échapper à la réalité, assumer cette libération, se laisser dominer par la peinture et poser sur elle un autre regard, voilà les enjeux du travail de peintre de Marine Wallon.  
 
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PC Bien que ton travail ait évolué de manière radicale, on en perçoit toujours le point de départ qui est l’image cinématographique… 

MW Mon inspiration cinématographique, depuis mon exposition personnelle Hey, Cut ! en 2015, reste importante. Toutefois, ma recherche a sensiblement changé sur le fait que je suis désormais moins dans un rapport à l’image en mouvement. J’ai longtemps cherché les moyens de capter l’avant, le pendant et l’après de l’image, plus particulièrement dans les films des années 50-60. Une image très imparfaite, due aux saccades ou aux accidents de la pellicule très caractéristiques de cette période du cinéma, qui est à la fois vibrante et dissonante. Je suis maintenant plutôt dans l’attente d’une image peinture, ce moment où une couleur, un cadrage, sont capables de susciter en moi une vibration très forte. Je cherche à conserver cette vibration désormais uniquement par la peinture. 

PC Un traitement de l’image qui s’effectue non plus par l’image elle-même mais par la matière ?

MW Exactement. Je me suis rendu compte que traiter la peinture de manière arrêtée ne me correspondait pas. J’ai toujours imaginé la peinture comme un médium que l’on ne peut ni stopper ni contrôler. Or traiter une image en produisant une image peinte veut dire que l’on exerce un contrôle sur elle. 
J’ai envie de restituer une vibration par le pinceau. C’est par lui et non de ma volonté que naît le motif et que le mouvement arrive. Au fil des séries, pour moi qui suis très attentive aux transitions, j’ai senti cette transformation dans ma peinture qui fait que maintenant rien n’est figé. La série des Polaroids aquarellés marquait déjà cette envie de ne pas retranscrire la réalité telle qu’elle est. J’ai toujours en tête cette phrase de Van Gogh qui parle de « fuir la nature locale ». J’affirme ce goût de pouvoir m’éloigner de cette vraisemblance pour créer un lien entre le réel et un imaginaire, et par là-même une émotion. Je pense qu’il faut être soi-même, réaliser les œuvres les plus personnelles possible. 

PC Une vibration de l’image peinte devant laquelle tu places tes personnages… 

MW La question centrale est bien ce que peut susciter l’image ou le paysage pour le regardeur que je représente de manière non réaliste, souvent grossièrement au premier plan. En le positionnant de dos ou en profil perdu, faisant en sorte que sa frontalité soit perturbée, je cherche à produire immédiatement un rebond visuel vers le paysage au deuxième plan. Le vrai portrait de mes peintures est bien le paysage. Le geste de peinture permet de le deviner sans être dans la représentation classique. Les buissons deviennent un demi-cercle, un arbre au loin une diagonale distordue… tous ces éléments vont devenir au final l’expression d’une vision très personnelle avec toujours cette envie de retrouver mais surtout de refaire vivre ce regard que j’ai pu avoir devant ces paysages, ces signes de la nature, son mouvement.

« Je laisse la complète ambiguïté au décor. La figure est souvent mise à mal par rapport à son environnement. Dans un de mes tableaux récents, la figure est comme éjectée de la toile, face à un vide. Cela induit une forme de hors-champ avec cette idée qu’une toile peut guider le regard vers une autre. » — Marine Wallon 

PC N’y a-t-il pas, dans National recreation area (2017) présentée à l’exposition des lauréats de Novembre à Vitry, une prise de position dans ce personnage qui semble nous mettre à distance de l’image avec son mégaphone ? 

MW Cette peinture est en soi un manifeste. Je reprends certains codes de la peinture, séduisants, reconnaissables, qui renvoient à des mouvements picturaux et qui permettent d’être assimilé à une famille de peintres, pour y résister. Quand on commence à se méfier des codes, il devient alors possible d’en jouer. La question de l’horizon en est un exemple, parfois je le fais disparaître ou bien je place des personnages derrière comme dans Désert (2016) ou Brazzolo (2018), brouillant la composition des plans. Je m’affranchis également de la tradition très codifiée du traitement du ciel en le peignant à la verticale et en laissant des traces de pinceau bien apparentes. De même, j’évacue toute idée de perspective afin de placer librement un point de fuite de manière spontanée sur la toile, là où le pinceau le portera. Parfois, il vient à la fin de la toile comme sur Panamint (2017). Ces contre-pieds participent à la respiration de la toile. 

PC Avec ce danger de dérouter voire de perturber le spectateur… 

MW Quand je place un point, un élément, il n’est pas là pour émettre une quelconque réponse. Je représente des figures face à un mouvement permanent, avec le sentiment d’un grouillement. Ainsi, je cherche à ce que chaque élément permette une transition avec le suivant et le passage d’un plan à un autre. Afin de ne pas arrêter le regard, j’ai supprimé les architectures de mes toiles car elles l’emprisonnent, de la même manière que j’évite les contours trop marqués qui pourraient eux aussi l’enfermer. Chaque espace doit indiquer une direction et s’ouvrir sur un autre plan. Dans Panamint, le personnage fait face à ce qui pourrait être une falaise, un désert, ou la vue macroscopique d’un rocher. 

« Je travaille la matière picturale à l’aide de brosses, de palettes très larges,pour lui laisser,sans qu’elle soit trop épaisse, une certaine densité. Jusqu’à ne plus savoir si on est dans le sujet peint ou bien la peinture elle-même. » — Marine Wallon 

PC Une envie d’être dans un vocabulaire uniquement de peinture ? 
MW Oui, mais un langage qui lui aussi est tout le temps en mouvement. J’ai mis longtemps à le mettre en place et compris aussi que sa grammaire ne doit surtout pas s’arrêter, et qu’elle évolue tous les jours. Je ne veux pas de protocole. Pour faire ce deuxième plan qui est le plus important, j’ai une sorte de répertoire de gestes dont je dois me méfier pour laisser sa place au hasard. Le regard doit pouvoir circuler librement avec l’idée d’une rythmique. En ce moment, je m’intéresse à nouveau au vocabulaire de l’abstraction lyrique, un mouvement qui posait des questions de motif, d’équilibre, de poids qui reviennent assez souvent dans mes toiles. 

PC Comment décrirais-tu ton geste de peinture ?
 
MW Il a une dimension chorégraphique qui vient probablement de la danse que j’ai pratiquée pendant dix ans et dont je ressens encore l’influence. Une harmonie dans le geste que j’ai toujours envie de mettre en péril. À certains moments, l’application du pinceau est très appuyée, à d’autres plus légère. Il me parle et parle pour moi. Il peut m’éloigner de la réalité pour développer un imaginaire. Il me donne à voir les choses. Cela a complètement changé mon travail et c’est devenu addictif. À la fin l’image peinte qui apparaît n’est pas si éloignée du document source en termes de construction et de couleur, mais la peinture l’a fait bouger. Si pendant son élaboration j’ai en tête une image qui me guide, il faut qu’à un moment je ne sache plus rien et que seule la peinture décide. Elle doit m’apprendre des choses sur le hasard et le mouvement. 

Entretien réalisé par Valérie Toubas et Daniel Guionnet initialement paru  
dans la revue Point contemporain #10 © Point contemporain 2018